Par Maurice Hurni lui-même :
http://www.mobbing-zentrale.ch/referat%20hurni-stoll.htm Centrale suisse contre le mobbing
Relation perverse et mobbing
Dres Maurice Hurni und Giovanna Stoll
Psychiatres et psychothérapeutes FMH
Cabinet médical : Rue Bellefontaine 2, CH-1003 Lausanne
Je suis vaudois. Giovanna Stoll et moi sommes deux psychiatres, psychothérapeutes à Lausanne. Nous avons commencé par faire des traitements de sexologie et cest dans ce cadre que nous nous sommes intéressés à la dynamique de couple. Nous avons travaillé ce sujet qui était très peu connu, ici, et même en Europe et en Amérique. Progressivement nous en sommes venus à nous intéresser à des thèmes tels que la violence dans le couple, du point de vue psychologique. Dans les années soixante sont apparues ce quon appelé les thérapies familiales, qui sintéressent non pas seulement à un patient, mais qui prennent toute la famille en compte et voient le patient comme bouc émissaire de problèmes qui se situent ailleurs.
Dans les années septante ont paru les travaux de Paul-Claude Racamier, un psychanalyste français qui sest beaucoup intéressé à la dynamique familiale. Il en est venu à comprendre de plus en plus le thème de la violence dans la famille, cest-à-dire à considérer le patient comme une victime de certaines forces adverses et de violences qui lui étaient faites au niveau psychologique et sexuel. Dans les années quatre-vingt, la violence commence à devenir un thème. On commence à parler de maltraitance, dabus sexuel, dinceste, dabus narcissique. Giovanna Stoll et moi nous sommes beaucoup battus, à cette époque-là, pour défendre le concept de perversion narcissique. Beaucoup de gens avaient tendance à banaliser, à dire cela nest pas grave, il ne faut pas être méchant avec eux.
A cette époque, il y a eu très vite des dérapages : on a dit que cétait seulement les hommes qui étaient violents. On a trouvé des sortes de systèmes dexplication très simples, idéologiques. Finalement, dans les années nonante, cette violence commence à apparaître dans dautres domaines que la famille et cest alors que sont publiés les grands travaux sur le bizutage, qui est un problème de groupe : on prend un bouc émissaire et on sacharne sur lui. Ensuite sont venus les travaux de Heinz Leymann, (Psychoterror), Forester, etc. et finalement de Marie-France Hirigoyen, avec le harcèlement moral. Tous ces auteurs ont ceci de commun quils soulignent la gravité du problème. Ce sont des problèmes très graves qui se cristallisent sur un individu et qui finissent par le rendre fou, malade et qui peuvent le conduire au suicide.
Dans ce domaine, on en est venu à penser quil fallait y avoir un recours à la loi pour sanctionner les personnes qui abusent de leur autorité, que ce soit le père, la mère, lemployeur. Cet appel à la loi, qui est souvent un appel véhément, très urgent, et un peu magique, est certainement justifié mais la loi ne peut pas résoudre à elle seule tous les problèmes de violence dans la famille et dans les entreprises.
On aboutit à la descrïption de ces phénomènes avec des détails. On commence à savoir comment se passe le mobbing. On a passé de la violence physique à la violence psychologique. Et ce que je voudrais évoquer maintenant, ce sont les mécanismes psychologiques qui sont à la base du mobbing. Non pas les stratégies elles-mêmes, qui sont assez connues, maintenant, mais les moteurs qui animent ces violences, ces stratégies. On arrive en plein dans la perversion narcissique. La perversion narcissique, cest le nom que le Paul-Claude Racamier a donné à cette pathologie parce quelle ressemble beaucoup à la perversion sexuelle, quelle a la même tendance à utiliser lautre comme un objet à détruire, et cela avec jouissance. Mais au lieu de sattaquer à la sexualité, ces pervers narcissiques sattaquent à toute la personnalité de leur victime et principalement à ce quon appelle le narcissisme, cest-à-dire lestime de soi.
Giovanna Stoll et moi avons poursuivi ces travaux, particulièrement dans la dynamique de couple où nous avons vu que, souvent, ces pervers narcissiques se choisissent mutuellement et entrent dans une sorte dopposition ou daffrontement qui peut être très cruel, chacun essayant dexploiter ou dattaquer lautre. Ils sacrifient souvent les enfants.
Nous allons passer en revue six thèmes qui caractérisent ce que nous avons trouvé dans ces familles perverses.
Le premier thème : la terreur ou le terrorismeTous les auteurs qui se sont intéressés à ces violences, notamment dans le domaine professionnel, sont parvenus à la conclusion suivante: il ne faut pas banaliser cette violence. Il faut au contraire percevoir à quel point cette violence est intense. Il faut voir quelle est une sorte de terrorisme qui sattaque à lessence de la personne et cest seulement si on comprend cela quon comprend la facilité avec laquelle ces pervers arrivent à avoir, souvent, des positions dominantes dans la société, parce quils terrorisent beaucoup de gens dans leur famille, autour deux et au travail. On comprend également quils parviennent à des positions dominantes aussi dans des cercles politiques ou autres. Et tout cela de façon très cachée. Ce nest pas un terrorisme violent, manifeste et démonstratif, cest plutôt un terrorisme qui passe par des attitudes, des positions non verbales, des accords non verbaux, etc. et qui arrive à paralyser beaucoup de personnes. Et cest seulement quand on comprend cette violence quon comprend également les effets dramatiques de cette violence sur les victimes, qui sont complètement démunies face à cette terreur. Et qui en arrivent parfois à des extrêmes.
Cette violence a quelque chose de particulier, elle est aléatoire. Cest-à-dire quelle na pas une raison très claire. Tout le monde peut devenir violent si on lui marche sur le pied; on peut être furieux si on se sent blessé et on se défend. La violence dont on parle ici, cest une violence gratuite. Une violence aléatoire. Par exemple, il y a avait une famille dont le père était alcoolique. Quand il rentrait, il réveillait toute la maison en hurlant. Il avait un fusil en mains et disait : «
Maintenant, vous devez tous vous mettre sous la douche. » Les enfants devaient se mettre sous la douche froide. Il menaçait tout le monde avec son fusil. Dans une autre famille, une mère à chaque instant pouvait menaçer daller se suicider. «
Si cela ne va pas, disait-elle,
je me suicide. » Tout le monde, les enfants notamment, était dans une sorte de terreur.
Le problème de la mort est lié au problème du terrorisme. On le retrouve sous toutes sortes de variantes. Si on fait un parallèle avec le mobbing, cest lidée de lexclusion du groupe. Cest là-dessus que jouent beaucoup de menaces, de chantages : «
Soit tu es avec nous et à ce moment-là tu survis, soit tu es exclus du groupe et tu meurs. » chez les Barbares et les Grecs, les condamnés à mort étaient bannis. Le bannissement, cétait la même chose que la condamnation à mort. Cela met en route des pulsions très profondes telles que lappartenance à une meute, à un groupe danimaux. Un animal isolé, rejeté, ne peut souvent pas survivre sans les autres: il meurt. Et cest ce rejet fondamental qui plane dans certaines entreprises, où une sorte de terrorisme est exercé.
Le deuxième thème : lexpulsion des conflitsLa vie est un long conflit, tout le monde la bien compris. Depuis la naissance, il y a des conflits partout, on doit se battre. Mais le pervers na pas les moyens dassumer ses conflits, qui sont nobles, qui sont constitutifs de lêtre humain. Il nen a pas non plus lenvie, parce que cela le fait souffrir. Il dit : «
Plutôt que moi, ce sont les autres qui vont souffrir. » A cet effet, il injecte le conflit chez les autres ou entre les autres. Il met le conflit dans le psychisme des autres. Par exemple, on voit, dans certaines familles, des parents qui injectent des deuils chez les enfants. « O mon chéri, comme tu es triste, tu es vraiment dépressif, il faut aller voir le psychiatre. » disent-ils. Cet enfant a le deuil du père ou de la mère comme un toxique en lui; il ne peut s'en débarrasser. Cette exportation est redoutable parce qu'elle tend à diffuser. Celui qui a reçu un conflit qui nest pas le sien a un seul désir, cest de le passer comme une patate chaude à quelquun dautre. La dynamique, cest celle de lextension et de la diffusion de plus en plus loin.
Cette dynamique fait que dans certaines entreprises, tout le monde se bagarre, mais on ne sait pas très bien pourquoi. Une équipe qui collaborait auparavant, tout à coup, a des conflits. Cela ne va plus. Cest cette expulsion qui se multiplie.
Il faut bien comprendre quici il y a une diffusion à dautres personnes, un peu comme une explosion nucléaire. Le pervers se sentira dautant plus tranquille quil y aura plus de monde qui va être contaminé. Un sentiment de sécurité va résulter pour le pervers, qui jouit dune sorte dimmunité. On voit dans certaines familles des suicides, des toxicomanies, de lanorexie, des accidents bizarres et les parents ne comprennent pas, ils vont très bien, ils partent aux Seychelles en vacances, ils profitent de la vie, et autour deux il y a beaucoup de catastrophes.
Cette propension à exporter les conflits est importante aussi pour une autre idée, cest que le pervers aime les conflits. Les personnes normales naiment pas se disputer. Le pervers a besoin des conflits pour vivre. Il ne peut pas sen passer. Cela a été une grande découverte. Il faut comprendre cela pour essayer de résoudre le conflit de manière efficace.
Le troisième thème : la déshumanisationOn sait que, pour le pervers, lautre est une sorte dobjet quil va utiliser pour lui sans aucune culpabilité. Il se sent un droit sur lautre. Le fait que lautre ne soit pas content ne change rien à cette sorte daxiome. «
Cest moi, dit le pervers,
qui possède ton âme. Je sais mieux que toi qui tu es, comment tu dois te conduire, ce qui est bien pour toi, etc. » Et il va lobtenir en attaquant le narcissisme de lautre, cest-à-dire son estime de soi, sa valeur. Lautre devient un objet. Ces objets sont interchangeables entre eux et tous sont dépendants du pervers.
Le processus peut saccompagner de désymbolisation. La dimension symbolique des rapports humains est une dimension que lon ne réalise pas toujours mais qui est évidente pour tout le monde, qui est très importante. Tous nos actes, toutes nos personnes sont imbibés de cette dimension symbolique. Tous nos échanges sont des échanges symboliques. Le pervers na pas accès à cette dimension symbolique et va semployer à rabaisser tous ces échanges, ou toutes ces identités à un niveau concret. Par exemple, une patiente qui avait eu un bébé avait dit, cest trois kilos de viande.
Cette désymbolisation de lêtre humain peut être très subtile. Un petit enfant avait fait un batmann en pâte à modeler. Et le papa avait dit, mais non, ce nest pas un batmann, cest de la pâte à modeler. Le père avait cassé le jeu. Et lenfant avait beaucoup pleuré.
On retrouve quelque chose de cet ordre dans beaucoup dattaques en cours dans le domaine de la médecine. Beaucoup de personnes nous appellent des fournisseurs de soins. Cest vraiment une vision épouvantable. Le patient est réduit à être un consommateur de soins. Nous avions autrefois un directeur de la santé publique du canton de Vaud qui disait «
La santé na pas de prix, mais elle a un budget. »
On parle de scientifiques comme de cerveaux. Les gens deviennent des exécutants dune tâche. Ils sont interchangeables. Le savoir, la réflexion ne valent plus rien. Ce nest pas banal. Si on étudie les dénominations des fonctions dans une entreprise, on saperçoit quil y a dénormes changements de dénominations. Ces dénominations étaient claires, dans le temps. Aujourdhui, elles ne le sont plus. Quest-ce quun chef de projet ?
A suivre (coupé pour longueur excessive).