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Jacques

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Comment avoir toujours raison !
* le: 30 juillet 2008, 12:17:14 *
* Modifié: 30 juillet 2008, 11:44:49 par Jacques *
Comment avoir toujours raison !
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Dans ces 38 tactiques pour avoir toujours raison lors d'une discussion, Schopenhauer nous décrits de nombreux aspects du discours politicien et/ou psychopathique.



    1. Exagérer

    Étirer l’affirmation de l’adversaire au-delà de ses limites naturelles, l’interpréter de la façon la plus générale possible. Ceci est particulièrement aisé avec des gens qui font des assertions généralisantes.

    Ex : Les Chinois…, Les femmes… , les hommes…

    2. Jouer sur les mots

    Utiliser l’homonymie pour étendre également l’affirmation à ce qui, à part le même mot, n’a pas grand-chose ou rien du tout en commun avec l’objet du débat, puis réfuter de façon lumineuse et se donner ainsi l’air d’avoir réfuté l’affirmation elle-même.

    Ex. : — Vous n’êtes pas encore initié aux mystères de la philosophie kantienne — Ah, quand il est question de mystères, cela ne m’intéresse pas.

    3. Généraliser (1)

    Prendre l’affirmation posée relativement comme si elle l’était de façon générale, ou du moins la concevoir dans un rapport tout à fait différent et la réfuter dans ce sens.

    Ex. : — Certains homosexuels peuvent avoir des comportements pervers — Les homosexuels sont des gens normaux et non pas pervers.

    4. Cacher son jeu

    Quand on veut arriver à une conclusion, il ne faut pas la laisser prévoir mais obtenir discrètement qu’on en admette les prémisses en disséminant celle-ci au cours de la conversation. Il faut faire approuver les prémisses dans le désordre de façon à cacher son jeu et éviter que l’adversaire tente toutes sortes de manœuvres pour contrer notre thèse. On peut même utiliser des prémisses sans rapport avec le thème pour brouiller les pistes.

    5. Les faux arguments de l'adversaire

    Le vrai peut réfuter de fausses prémisses, alors que le faux ne peut jamais découler de vraies prémisses. C’est ainsi que l’on peut réfuter des propositions fausses de l’adversaire au moyen d’autres propositions fausses qu’il considère comme vraies ; car c’est à lui que nous avons affaire et il faut utiliser son mode de pensée.

    Ex. : Si notre interlocuteur est adepte d’une secte quelconque que nous n’approuvons pas, nous pouvons utiliser contre lui les préceptes de cette secte.

    6. Affirmer péremptoirement

    Tout discours s’appuie sur des prémisses. Pour élaborer une thèse, il faut s’entendre sur un certain nombre d’affirmations. En s’appuyant sur une « vérité d’évidence », en postulant ce que l’on aurait à prouver, on peut conduire l’interlocuteur à reconnaître la validité de notre thèse.

    La répartie à ce stratagème consiste à réfuter systématiquement chacune des prémisses de notre interlocuteur.

    Ex. : Affirmer l’incertitude de la médecine en affirmant l’incertitude de tout savoir humain.

    7. Noyer le poisson

    Poser beaucoup de questions à la fois et élargir le contexte pour cacher ce que l’on veut véritablement faire admettre. En revanche, exposer rapidement son argumentation à partir de concessions obtenues, car ceux qui sont lents à comprendre ne peuvent suivre exactement la démonstration et n’en peuvent voir les défauts et les lacunes éventuelles.

    Ex. : Tout débat à la Chambre des communes en fournit d’abondants exemples.

    8. Susciter la colère de l'adversaire

    Mettre l’adversaire en colère, car dans sa fureur il est hors d’état de porter un jugement correct et de percevoir son intérêt. On le met en colère en étant ouvertement injuste envers lui, en le provoquant et, d’une façon générale, en faisant preuve d’impudence. Si on le connaît personnellement, on peut exhiber son point faible. En parlant ouvertement ce dont il a honte on va brouiller son esprit et il sera incapable de formuler un jugement cohérent.

    Ex. : Sachant que notre interlocuteur a déjà été condamné pour un délit au criminel ou au civil, on peut le mentionner ouvertement dans la discussion pour discréditer son intégrité.

    9. Brouiller les pistes

    Ne pas poser les questions dans l’ordre exigé par la conclusion qu’il faut en tirer, mais dans toutes sortes de permutations ; il ne peut savoir ainsi où on veut en venir et ne peut se prémunir. On peut aussi utiliser ses réponses pour en tirer diverses conclusions, même opposées, en fonction de leur nature. Ce stratagème est apparenté au quatrième dans la mesure où il faut dissimuler sa manière de procéder.

    Ex. : L’inspecteur de police, durant son interrogatoire, va poser toutes sortes de questions sans rapport apparent entre elles afin, plus tard, de pouvoir en tirer des conclusions qui vont dans le sens de son enquête sans que le prévenu ne l’ait vu venir.

    10. Par l'antithèse

    Quand on se rend compte que l’adversaire fait exprès de rejeter les questions qui auraient besoin d’une réponse positive pour soutenir notre thèse, il faut l’interroger sur la thèse contraire, comme si c’était cela que l’on voulait le voir approuver ; ou tout du moins, lui donner le choix entre les deux de telle sorte qu’il ne sache plus quelle est la thèse à laquelle on souhaite qu’il adhère.

    Ex. : L’important est de prendre le dessus sur l’adversaire, lui montrer qu’il a tort et que nous avons raison. Nous pouvons donc feindre momentanément adhérer à sa thèse, l’appuyer avec nos propres arguments, pour ensuite le trouver en défaut sur un point qui la fasse s’effondrer.

    11. L’induction

    Faire croire à l’adversaire qu’il a reconnu lui-même une « vérité générale admise » en lui faisant concéder plusieurs cas particuliers par induction.

    Ex. : L’acier est un métal solide à la température ambiante. L’or aussi est un métal solide à la température ambiante. De même que l’aluminium, le bronze etc. Donc, on peut dire que tous les métaux sont solides à la température ambiante.

    12. Titre ronflant

    Choisir une désignation flatteuse pour désigner notre thèse, notre fonction, notre titre. Ou à l’inverse, utiliser des termes orduriers pour désigner une thèse que l’on cherche à discréditer. Un orateur trahit souvent à l’avance ses intentions par les noms qu’il donne aux choses.

    Ex. : Désigner la personne atteinte de la maladie du SIDA comme « sidéen » plutôt que comme « sidatique » , le premier terme s’apparentant à l’habitant d’un pays plutôt que le second qui désigne celui qui est affublé d’une maladie. Désigner les protestants comme « L’Église Unie » alors que les catholiques les considèrent comme des « hérétiques ». Parler des cols bleus comme des « fiers à bras » ou parler des intellectuels comme des « pousseux de crayon » pour discréditer leur fonction sociale.

    13. Contraste engageant

    Pour faire en sorte qu’il accepte notre thèse, nous devons lui en présenter le contraire et lui laisser le choix, ayant pris soin de mettre en évidence l’aspect péjoratif de cette antithèse. L’adversaire, sous peine qu’on croit qu’il cultive l’art du paradoxe, ne pourra faire autrement que de se rallier à notre manière de penser.

    Ex. : C’est comme quand on met du gris à côté du noir : on dirait du blanc ; alors que si on le met à côté du blanc, on dirait du noir.

    14. Triomphe proclamé

    Un tour pendable consiste, quand il a répondu à plusieurs questions sans que ces réponses soient allées dans le sens de la conclusion vers laquelle nous tendons, à déclarer qu’ainsi la déduction à laquelle on voulait aboutir est prouvée, bien qu’elle n’en résulte aucunement. Il faut le proclamer triomphalement.

    L’interlocuteur se retrouvera complètement déstabilisé du fait que, ne trouvant aucun lien entre le discours et la conclusion, on laisse entendre qu’il n’est pas assez subtil pour l’avoir saisi. Il a donc le choix entre perdre la partie ou paraître lent d’esprit. Il y a toutes les chances qu’il choisisse d’être perdant pour faire croire qu’il a compris le lien bidon et sauvegarder sa réputation « d’intelligent ».

    Ce stratagème fonctionne admirablement avec les timides et les lents d’esprits mais il peut générer la haine et la vengeance sournoise.

    15. Se décoincer

    Si nous avons posé une thèse paradoxale que nous avons du mal à démontrer, il faut présenter à l’adversaire n’importe quelle proposition exacte, mais d’une exactitude pas tout à fait évidente, afin qu’il l’accepte ou la rejette. S’il la rejette par méfiance, nous le confondons par l’absurde et triomphons ; mais s’il l’accepte c’est que nous avons tenu des propos raisonnables et nous pouvons ajuster notre tir en conséquence. Ou bien nous ajoutons le stratagème #14 et affirmons alors que notre paradoxe est démontré. Il faut pour cela être d’une extrême imprudence, mais il y a des gens qui pratiquent ceci très adroitement de façon instinctive.

    16. Inciter à se commettre, à cohérence

    Quand l’adversaire fait une affirmation, nous devons chercher à savoir si elle n’est pas d’une certaine façon, et ne serait-ce qu’en apparence, en contradiction avec quelque chose qu’il a dit ou admis auparavant, ou avec les principes d’une école ou d’une secte dont il a fait l’éloge, ou avec les actes des adeptes de cette secte, qu’il soient sincères ou non, ou avec ses propres faits et gestes. Ce stratagème est très facile à appliquer puisque, n’ayant pas eu l’opportunité de faire le « ménage » dans leurs idées reçues, la plupart des gens sont des paradoxes ambulants.

    Ex. : S’il prend parti en faveur du suicide, lui demander aussitôt : « Pourquoi ne te suicide-tu donc pas? » Ou bien s’il dit que Montréal est une ville désagréable, s’écrier aussitôt : « Comment se fait-il que tu y habites? » etc.

    17. Introduire une distinction

    Si l’adversaire a une parade qui nous met dans l’embarras, nous pourrons souvent nous tirer d’affaire grâce à une distinction subtile à laquelle nous n’avions pas pensé auparavant — si tant est que l’objet du débat admette une double interprétation ou deux cas distincts.

    18. Détourner la conversation

    Si nous nous rendons compte que l’adversaire s’est emparé d’une argumentation qui va lui permettre de nous battre, nous devons l’empêcher de parvenir au bout de sa démonstration en interrompant à temps le cours de la discussion, en nous esquivant ou en détournant le débat vers d’autres propositions.

    Ex. : Lorsque l’adversaire vous dit que vous avez tort, faites-lui remarquer que son lacet de soulier est détaché.

    19. Généraliser (2)

    Si l’adversaire exige expressément que nous argumentions contre un certain aspect de son affirmation, et que nous n’ayons rien de valable à dire, il faut se lancer dans un débat général et la contrer.

    Ex. : Si nous devons dire pourquoi une certaine hypothèse physique n’est pas fiable, nous parlerons du caractère fallacieux du savoir humain et l’illustrerons par toutes sortes d’exemples.

    20. Conclure

    Si nous lui avons demandé les prémisses et qu’il les a admises, il faut, non pas lui demander en plus la conclusion, mais la tirer nous-même ; et même s’il manque l’une ou l’autre des prémisses, nous la considérerons comme admise et tirerons la conclusion. Nous donnerons ainsi l’illusion à l’adversaire qu’il approuve de fait cette conclusion puisque ce sont ses prémisses qui la soutiennent.

    21. À question stupide, réponse stupide

    En cas d’argument spécieux ou sophistique de l’adversaire dont nous ne sommes pas dupes, nous pouvons certes le démolir en expliquant ce qu’il a d’insidieux et de fallacieux. Mais il est préférable de lui opposer un contre-argument aussi spécieux et sophistique afin de lui régler son compte. Car ce qui importe, ce n’est pas la vérité mais la victoire.

    Ex. : Si l’adversaire avance un argument ad hominem [1] il suffit de le désarmer par un contre-argument ad hominem ; et d’une manière générale, au lieu d’avoir à discuter longuement de la vraie nature des choses, il est plus rapide de donner une argumentation ad hominem quand l’occasion se présente.

    22. Pétition de principe

    S’il exige que nous concédions une chose d’où découlerait directement le problème débattu, il faut refuser en prétendant qu’il s’agit là d’une pétition de principe [2] ; car lui et les témoins du débat auront tendance à considérer une proposition proche du problème comme identique à ce problème ; nous le privons ainsi de son meilleur argument.

    23. Réfuter les exagérations

    La contradiction et la querelle incitent parfois l’adversaire à exagérer notre affirmation. En le contredisant, nous pouvons donc le pousser à tirer une affirmation, éventuellement exacte dans les limites requises, au-delà de la vérité ; mais une fois que nous avons réfuté cette exagération, il semble également que nous ayons réfuté la thèse originelle.

    À l’inverse, nous devons nous garder de nous laisser entraîner par la contradiction à exagérer ou à élargir le champ de notre thèse. Souvent aussi, l’adversaire lui-même essaiera directement de faire reculer les limites que nous avions fixées : il faut immédiatement y mettre un terme et le ramener aux limites de notre affirmation.

    Ex. : « Voilà ce que j’ai dit, et rien de plus ».

    24. Forcer la thèse

    On force la thèse de l’adversaire en en tirant de fausses conclusions et en déformant les concepts, pour en faire sortir des propositions qui ne s’y trouvent pas et qui ne reflètent pas du tout l’opinion de l’adversaire car elles sont au contraire absurdes ou dangereuses. Comme il semble qu’il découle de sa thèse des propositions qui, soit se contredisent elles-mêmes, soit contredisent des vérités reconnues, ce stratagème passe pour une réfutation indirecte, une apagogie (démonstration par l’absurde).

    25. Trouver une exception

    Il faut faire une apagogie au moyen d’une instance. Si l’adversaire procède par l’induction, il requiert un grand nombre de cas pour poser sa thèse générale. Nous n’avons besoin que de poser un seul cas en contradiction avec la proposition pour que celle-ci soit renversée.

    Ex. : La thèse « tous les ruminants ont des cornes » est réfutée par l’instance unique des chameaux.

    26. Retourner son argument contre lui

    Une technique brillante consiste à retourner son propre argument contre l’adversaire, quand l’argument qu’il veut utiliser à ses fins peut être encore meilleur si on le retourne contre lui.

    Ex. : — C’est un enfant, il faut être indulgent avec lui.
    — C’est justement parce que c’est un enfant qu’il faut le punir pour l’empêcher de prendre de mauvaises habitudes.

    27. Empirer la colère de l'adversaire

    Si un argument met inopinément l’adversaire en colère, il faut s’efforcer de pousser cet argument encore plus loin : non seulement parce qu’il est bon de le mettre en colère (voir le stratagème no. 8), mais parce qu’on peut supposer que l’on a touché le point faible de son raisonnement et qu’on peut sans doute l’attaquer encore davantage sur ce point qu’on ne l’avait d’abord pensé.

    28. Ridiculiser d'autorité en tablant sur la naïveté de l'auditoire

    Ce stratagème est surtout utilisable quand des savants se disputent devant des auditeurs ignorants. Il consiste à avancer une objection non valable mais dont le seul spécialiste reconnaît le manque de validité. Celui qui est le spécialiste, c’est l’adversaire, pas les auditeurs. À leurs yeux, c’est donc lui qui est battu, surtout si l’objection fait apparaître son affirmation sous un jour ridicule. Les gens sont toujours prêts à rire, et on a alors les rieurs de son côté. Pour démontrer la nullité de l’objection, il faudrait que l’adversaire fasse une longue démonstration et remonte aux principes scientifiques ou à d’autres faits, et il lui sera difficile de se faire entendre.

    Ex. : L’adversaire dit : « Au cours de la formation des montagnes primitives, la masse à partir de laquelle le granit et tout le reste de ces montagnes s’est cristallisé était liquide à cause de la chaleur, donc fondu. La chaleur devait être d’environ 200˚ Réaumur et la masse s’est cristallisée au dessous de la surface de la mer qui la recouvrait. » Nous avançons l’argument que : « à cette température, et même bien avant, vers 80˚, la mer se serait mise à bouillir depuis longtemps et se serait évaporée dans l’atmosphère. » Les auditeurs s’éclatent de rire. Pour nous battre, il lui faudrait démontrer que le point d’ébullition ne dépend pas seulement du degré de température mais tout autant de la pression de l’atmosphère et que celle-ci, dès que par exemple la moitié de la mer serait transformée en vapeur d’eau, elle aurait tellement augmenté qu’il n’y aurait plus d’ébullition, même à 200˚ Réaumur. Mais il ne le fera pas car avec des non-physiciens, il y faudrait une véritable conférence.

    29. Faire diversion (semblable à 18.)

    Si on se rend compte que l’on va être battu, il faut faire une diversion, c’est-à-dire qu’on se met tout d’un coup à parler de tout autre chose comme si cela faisait partie du sujet débattu et était un argument contre l’adversaire. Cela se fait avec discrétion si la diversion a quelque rapport avec le thème discuté ; avec imprudence si elle ne concerne que l’adversaire et n’a rien à voir avec l’objet du débat.

    Toute dispute entre des gens du commun montre à quel point ce stratagème est quasi instinctif. En effet, quand l’un fait des reproches personnels à l’autre, celui-ci ne répond pas en les réfutant mais en faisant à son tour des griefs personnels à son adversaire, laissant de côté ceux qu’on lui a faits et semblant donc reconnaître leur bien-fondé. Dans les querelles, une telle diversion ne vaut rien parce qu’on laisse tomber les reproches reçus et que les témoins apprennent tout le mal possible des deux parties en présence. On peut l’utiliser dans la controverse faute de mieux.

    Ex. : — Tu as un grand nez!
    — Moins grand que le tien!
    — Tu pues!
    — T’é fou!
    — Toi aussi!
    — Non, c’est toi!
    Paf! Pif! Paf!

    30. Mystifier (Name Dropping)

    Au lieu de faire appel à la raison, il faut se servir d’autorités reconnues en la matière selon le degré des connaissances de l’adversaire. « Chacun préfère croire plutôt que juger » a dit Sénèque. On a donc beau jeu si l’on a de son côté une autorité respectée par l’adversaire. Cependant, il y aura pour lui d’autant plus d’autorités valables que ses connaissances et ses aptitudes sont limitées. Si celles-ci sont de tout premier ordre, il ne reconnaîtra que peu d’autorités ou même aucune. À la rigueur, il fera confiance aux gens spécialisés dans une science, un art ou un métier qu’il connaît peu ou pas du tout, et encore ne le fera-t-il qu’avec méfiance. En revanche, les gens du commun ont un profond respect pour les spécialistes en tout genre. Ils ignorent que la raison pour laquelle on fait profession d’une chose n’est pas l’amour de cette chose mais de ce qu’elle rapporte. Et que celui qui enseigne une chose la connaît rarement à fond car, s’il l’étudiait à fond, il ne lui resterait généralement pas de temps pour l’enseigner. Mais pour le profane, il y a beaucoup d’autorités dignes de respect. Donc si on n’en trouve pas d’adéquate, il faut en prendre une qui le soit en apparence et citer ce que quelqu’un a dit dans un autre sens ou dans des circonstances différentes. Ce sont les autorités auxquelles l’adversaire ne comprend pas un traître mot qui font généralement le plus d’effet. Les ignorants ont un respect particulier pour les figures de rhétorique grecques et latines.

    On peut aussi en cas de nécessité, non seulement déformer mais carrément falsifier ce que disent les autorités, ou même inventer purement et simplement ; en général, l’adversaire n’a pas le livre sous la main et ne sait pas non plus s’en servir.

    Ex. : Un curé français qui, pour ne pas être obligé de paver la rue devant sa maison, comme les autres citoyens, citait une formule biblique : paveant illi, ego non pavebo (Qu’ils tremblent, moi, je ne tremblerai pas). Ce qui convainquit le conseil municipal.

    Il faut aussi utiliser en matière d’autorités les préjugés les plus répandus. Car la plupart des gens pensent avec Aristote : « Ce qui paraît juste à une multitude, nous disons que c’est vrai » (Éthique à Nicomaque) : il n’y a en effet aucune opinion, aussi absurde soit-elle, que les hommes n’aient pas rapidement adoptée dès qu’on a réussi à les persuader qu’elle était généralement acceptée. L’exemple agit sur leur pensée comme sur leurs actes. Ce sont des moutons qui suivent le bélier de tête, où qu’il les conduise : il leur est plus facile de mourir que de penser. Il est très étrange que l’universalité d’une opinion ait autant de poids pour eux puisqu’ils peuvent voir sur eux-mêmes qu’on adopte des opinions sans jugement et seulement en vertu de l’exemple. Mais ils ne le voient pas parce qu’ils sont dépourvus de toute connaissance d’eux-mêmes. Seule l’élite dit avec Platon : « à une multitude de gens, une multitude d’idées paraissent justes, c'est-à-dire le profane n’a que bêtises en tête, et si on voulait s’y arrêter, on aurait beaucoup à faire. Si on parle sérieusement, le caractère universel d’une opinion n’est ni une preuve ni même un critère de probabilité de son exactitude. [Il n’y a qu’à penser à tous les dogmes jadis reconnus officiellement par des sociétés entières et qui par la suite se sont avérés complètement faux. Par exemple, Ptolémée contre Copernic].

    Ce que l’on appelle l’opinion commune est, à y bien regarder, l’opinion de deux ou trois personnes ; et nous pourrions nous en convaincre si seulement nous observions comment naît une telle opinion. [Comme pour le ragot], nous verrions alors que ce sont deux ou trois personnes qui l’ont admise ou avancée ou affirmée, et qu’on a eu la bienveillance de croire qu’elles l’avaient examinée à fond ; préjugeant de la compétence suffisante de celles-ci, quelques autres se sont mises également à adopter cette opinion ; à leur tour, un grand nombre de personnes se sont fiées à ces dernières, leur paresse [ou séduction] les incitant à croire d’emblée les choses plutôt que de se donner le mal de les examiner. Ainsi s’est accru de jour en jour le nombre de ces adeptes paresseux et crédules [et séduits] ; car une fois que l’opinion eut pour elle un bon nombre de voix, les suivants ont pensé qu’elle n’avait pu les obtenir que grâce à la justesse de ses fondements. Les autres sont alors contraints de reconnaître ce qui était communément admis pour ne pas être considérés comme des esprits inquiets s’insurgeant contre des opinions universellement admises ou comme des impertinents se croyant plus malins que tout le monde. Adhérer devint alors un devoir. Désormais, le petit nombre de ceux qui sont capables de juger est obligé de se taire ; et ceux qui ont le droit de parler sont ceux qui sont absolument incapables de se forger une opinion et un jugement à eux, et qui ne sont donc que l’écho de l’opinion d’autrui. Ils en sont cependant des défenseurs d’autant plus ardents et plus intolérants. Car ce qu’ils détestent chez celui qui pense autrement, ce n’est pas tant l’opinion différente qu’il prône que l’outrecuidance qu’il y a à vouloir juger par soi-même — ce qu’ils ne font bien sûr jamais eux-mêmes, et dont ils ont conscience dans leur for intérieur. Bref, très peu de gens savent réfléchir, mais tous veulent avoir des opinions ; que leur reste-t-il d’autre que de les adopter telles que les autres les leur proposent au lieu de se les forger eux-mêmes? Puisqu’il en est ainsi, que vaut l’opinion de cent millions d’hommes? Autant que, par exemple, un fait historique attesté par cent historiens quand on prouve ensuite qu’ils ont tous copié les uns sur les autres et qu’il apparaît ainsi que tout repose sur les dires d’une seule personne.

    Néanmoins, on peut, quand on se querelle avec des gens du commun, utiliser l’opinion universelle comme autorité.

    D’une manière générale, on constatera que quand deux esprits ordinaires se querellent, ce sont des personnalités faisant autorité qu’ils choisissent l’un et l’autre comme armes, et dont ils se servent pour se taper dessus. Si une tête mieux faite a affaire à quelqu’un de ce genre, le mieux est qu’il accepte de recourir lui aussi à cette arme, en la choisissant en fonction des faiblesses de son adversaire. Car, comparée à l’arme des raisons, celle-ci est, par hypothèse, un Siegfried blindé, plongé dans les flots de l’incapacité de penser et juger.

    Au tribunal, on ne se bat en fait que par autorités interposées, à savoir, l’autorité bien établie des lois : la tâche du pouvoir judiciaire est de découvrir la loi, c'est-à-dire l’autorité applicable dans le cas en question. Mais la dialectique a suffisamment de champ d’action car, si c’est nécessaire, le cas traité et une loi, qui ne vont en réalité pas ensemble, peuvent être déformés jusqu’à ce qu’on les juge concordants ; ou l’inverse.

    31. Se déclarer incompétent

    Si on ne sait pas quoi opposer aux raisons exposées par l’adversaire, il faut, avec une subtile ironie, se déclarer incompétent. De cette façon, on insinue, face aux auditeurs qui vous apprécient, que ce sont des inepties.

    Ex. : « Ce que vous dîtes-là dépasse mes faibles facultés de compréhension ; c’est peut-être tout à fait exact, mais je n’arrive pas à comprendre et je renonce à tout jugement. » C’est ainsi qu’à la parution de la Critique de la raison pure, ou plutôt dès qu’elle commença à faire sensation, de nombreux professeurs de la vieille école éclectique déclarèrent : « nous n’y comprenons rien », croyant par là lui avoir réglé son compte. Mais quand certains adeptes de la nouvelle école leur prouvèrent qu’ils avaient raison, et qu’ils n’y comprenaient vraiment rien, cela les mit de très mauvaise humeur.

    Il ne faut utiliser ce stratagème que quand on est sûr auprès des auditeurs d’une considération nettement supérieure à celle dont jouit l’adversaire.

    Ex. : Quand un professeur s’oppose à un étudiant.

    À vrai dire, cette méthode fait partie du stratagème précédent et consiste, de façon très malicieuse, à mettre sa propre autorité en avant au lieu de fournir des raisons valables.

    La contre-attaque est alors de dire : « Permettez, mais vu votre grande capacité de pénétration, il doit vous être facile de comprendre ; tout cela est dû à la mauvaise qualité de mon exposé », et de lui ressasser tellement la chose qu’il est bien obligé, bon gré mal gré, de la comprendre, et qu’il devient clair qu’il n’y comprenait effectivement rien auparavant. Ainsi on a rétorqué. Il voulait insinuer que nous disions des « bêtises » nous avons prouvé sa « sottise ». Tout cela avec la plus parfaite des politesses.

    32. Faire une association dégradante

    Nous pouvons rapidement éliminer ou du moins rendre suspecte une affirmation de l’adversaire opposée à la nôtre en la rangeant dans une catégorie exécrable, pour peu qu’elle s’y rattache par similitude ou même très vaguement.

    Ex. : C’est du communisme, c’est de l’athéisme, c’est de la tyrannie, c’est du banditisme etc.

    Cette affirmation suppose deux choses :

    a) Que l’affirmation en question, « c’est bien connu », est réellement identique à cette catégorie, ou au moins contenue en elle.
    b) Que cette catégorie est déjà totalement réfutée et ne peut contenir un seul mot de vrai.

    33. Opposer théorie et pratique

    « C’est peut-être vrai en théorie, mais en pratique c’est faux. » Cette affirmation pose une impossibilité : ce qui est juste en théorie doit aussi l’être en pratique ; si ce n’est pas le cas, c’est qu’il y a une erreur dans la théorie ; par conséquent, c’est également faux en théorie

    34. Insister sur le point qu'il détourne

    Si un adversaire ne donne pas une réponse directe à une question ou à un argument, mais se dérobe au moyen d’une autre question ou d’une réponse indirecte, ou même essaie de détourner le débat, c’est la preuve évidente que nous avons touché un point faible de sa part (parfois sans le savoir) : c’est une façon relative de se taire. Il faut donc insister sur le point où nous avons mis le doigt et ne pas laisser l’adversaire tranquille, même lorsque nous ne voyons pas encore en quoi consiste au juste la faiblesse que nous avons décelée.

    35. Faire voir qu'il se tire dans le pied

    Si l’on peut faire sentir à l’adversaire que son opinion, si elle était valable, causerait un tort considérable à ses intérêts, il la laissera tomber aussi vite qu’un fer rouge dont il se serait imprudemment emparé.

    Ex. : Un ecclésiastique soutient un dogme philosophique. Il faut lui faire remarquer que celui-ci est en contradiction directe avec un dogme fondamental de son Église.

    En général, une once de volonté et de conviction pèse plus lourd qu’un quintal d’intelligence et de raisonnement. Ce qui nous est défavorable paraît généralement absurde à l’intellect. Ce stratagème pourrait s’intituler « attaquer l’arbre par la racine ».

    36. Étourdir par la parole

    Déconcerter, stupéfier l’adversaire par un flot insensé de paroles.

    Ex. : Débiter d’un air très sérieux des bêtises qui ont un air savant et profond.

    En contrepartie, celui qui ne s’y laisse pas prendre pourra puiser dans ce flot de paroles les confusions et les dénoncer en démontrant en quoi ces arguments sont hors contextes et incohérents.

    37. Réfuter en dénonçant la preuve

    (Ce stratagème devrait être l’un des premiers). Si l’adversaire a raison et qu’il choisit une mauvaise preuve, il nous est facile de réfuter cette preuve, et nous prétendons alors que c’est là une réfutation de l’ensemble. Si aucune preuve plus exacte ne lui vient à l’esprit, nous avons gagné.

    Ex. : Par exemple, contrer quelqu’un qui, pour prouver l’existence de Dieu, avance la preuve ontologique qui est parfaitement réfutable. C’est le moyen par lequel de mauvais avocats perdent une juste cause : ils veulent la justifier par une loi qui n’est pas adéquate, alors que la loi adéquate ne leur vient pas à l’esprit.

    38. Ultime stratagème : injurier

    Si l’on s’aperçoit que l’adversaire est supérieur et que l’on ne va pas gagner, il faut tenir des propos désobligeants, blessants et grossiers. Être désobligeant, cela consiste à quitter l’objet de la querelle (puisqu’on a perdu la partie) pour passer à l’adversaire, et à l’attaquer d’une manière ou d’une autre dans ce qu’il est. Mais quand on passe aux attaques personnelles, on délaisse complètement l’objet et on dirige ses attaques sur la personne de l’adversaire. On devient donc vexant, méchant, blessant, grossier. C’est un appel des facultés de l’esprit à celles du corps ou à l’animalité. Ce stratagème est très apprécié car chacun est capable de l’appliquer, et il est donc souvent utilisé.



Remarquez qui utilise ce genre de tactiques autour de vous. Ce sont généralement ceux qui ont le moins d'humanité, les plus méprisables spécimens de l'espèce humaine...