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Internet : escroquerie à l'africaine dans la jungle du cybersexeAlors qu'il chattait sur un site coquin, il a été contacté par une prétendue police antipédophile qui lui demandait de payer 4 800 euros .Il a un peu honte. Mais si son histoire peut servir à d'autres, il veut bien la raconter. Marc (1), Bordelais d'une quarantaine d'années, vient d'être victime d'une tentative d'escroquerie qui touche un nouveau domaine : le cybersexe. Et il a bien failli se faire avoir.D'abord en simple visiteur, puis en utilisateur, il s'est récemment connecté sur un site Internet coquin pour adultes. Puis, un samedi, seul et sans projet pour la soirée, « curieux de découvrir le cybersexe », un peu en manque de rencontres féminines épurées de toute complication, il se met à chatter avec plusieurs correspondantes.Avec l'une, la conversation est banale, presque administrative, et se révèle sans plus d'intérêt. Avec une autre, le courant passe. Il quitte alors le site, trop onéreux, pour aller sur sa propre messagerie. Le ton devient vite direct et cru. Et la température monte de part et d'autre de l'écran.Tout du document officielLa jeune femme lui demande de brancher sa webcam et promet de faire de même. Encouragé, excité par des propos grivois et coquins, Marc se prend au jeu et s'effeuille peu à peu jusqu'à finir nu. Mais il aimerait savoir qui le regarde ainsi et voudrait lui aussi commenter le physique de sa partenaire virtuelle.La réponse tombe comme un couperet. Celle qui se décrivait comme ayant 38 ans assure maintenant qu'elle n'en a que 16. « J'ai tout de suite coupé court à l'échange », explique Marc, refroidi. L'incident tourne en boucle dans sa tête. Il passe une mauvaise nuit. Le lendemain, il se reconnecte. Nouveau coup au cur quand il lit un mail déposé sur sa boîte.Il émane de « la police antipédophile de la Côte d'Ivoire » ! Logo, symboles de la République ivoirienne, tampons : le courriel a tout du document officiel. « On me dit que j'ai été surpris sur le Net avec une mineure », souffle-t-il. Les mots « passible », « condamnable », « extradition », « jugé » lui sautent aux yeux et attisent son malaise.Bonne foiIl répond en plaidant sa bonne foi, rappelle qu'il était sur un site réservé aux adultes. On lui renvoie en pièce jointe un « référé en justice » l'informant que la jeune fille a été entendue. Les autorités veulent bien faire preuve d'indulgence en lui proposant de régler une amende de 4 800 euros par mandat dès le lendemain.Marc se décompose, reste cloîtré chez lui, rumine la situation. Puis appelle un ami avisé qui flaire l'arnaque et lui conseille un avocat. Entre-temps, Marc devient paranoïaque. Fuit quand une femme inconnue sonne à sa porte. Sursaute quand un correspondant anonyme appelle son téléphone portable.Pas d'amende« C'est une escroquerie classique, dite "à l'africaine", qui vise à soutirer de l'argent en ligne », décrit Me Dominique Laplagne. « Un chantage qui touche maintenant aussi le cybersexe, car ces sites marchent à fond. Et c'est un bon créneau : c'est caché, tabou. Certains pigeons doivent préférer payer pour acheter silence et discrétion », suppose l'avocat.Selon lui, Marc ne risque pas grand-chose d'autre que de s'être ridiculisé devant un homme. « Il y a fort à parier que les instigateurs, qui ne seront jamais retrouvés, sont des hommes. » « En aucun cas un service enquêteur n'est en droit de demander de l'argent », avertit un policier rompu aux cyberarnaques concernant loteries, appartements, véhicules ou même chats. « Et, pour qu'une amende soit prononcée, il faudrait que la personne soit entendue, jugée. »Marc a déposé une main courante au commissariat. « C'est une intrusion insupportable dans la vie privée », soupire-t-il. Il jure qu'on ne l'y reprendra plus. « Je savais que l'ordinateur n'avait plus rien de privé dès lors qu'on était sur Internet, mais là je l'ai vécu de l'intérieur. »(1) Le prénom a été modifié.
Raymond, le Madoff de la banlieue nordPar Henri Haget, publié le 04/07/2010 à 10:14Lui, c'est sur les marchés d'Aubervilliers ou du Plessis-Bouchard qu'il trouvait ses clients. Cet ancien tripier est soupçonné d'avoir escroqué plus de 300 personnes en une quarantaine d'années. Pour un montant de 60 millions d'euros!Il y a loin de Wall Street à la rue Hélène-Cochennec, à Aubervilliers. Ici, pas d'immeuble en Plexiglas ni de traders cocaïnés, mais une enfilade de pavillons en meulière et des grands-mères sortant en chaussons pour promener leur caniche. C'est dans ce coin paisible de la Seine-Saint-Denis que Raymond Claval, 69 ans, tripier sur les marchés le jour, banquier occulte la nuit, avait fini par se prendre pour Bernard Madoff, brassant des montagnes d'argent liquide à l'ombre de ses frigos et garantissant des taux d'intérêt exceptionnels à ses clients, toujours plus nombreux.Le mois dernier, devant les policiers d'Aubervilliers, ce retraité aux faux airs de Francis Blanche a révélé que son commerce prospère avait débuté, "presque par hasard", en 1969. Quarante et un ans plus tard, son portefeuille de placements s'élevait à 60 millions d'euros. Dans ses chemises cartonnées -l'ancien tripier n'est jamais passé à l'informatique- les enquêteurs ont débusqué les noms de 330 apprentis spéculateurs lui ayant remis, chacun, entre 2 000 et 350 000 euros, toujours en espèces. Aveuglés par l'appât du gain, estourbis par l'incroyable histoire que leur débitait Claval, ils ont cru benoîtement décrocher le jackpot en renflouant les caisses noires de l'Etat. Car c'était cela, la combine à Raymond: les fonds secrets de Matignon."Claval, pour moi, il était plus honnête que la Bourse", raconte Gérard, un gendarme à la retraite qui l'a côtoyé durant trente ans avant de finir par lui confier ses économies, en 2008. La femme du pandore tient un étal de charcuterie, le samedi matin, sur le marché du Plessis-Bouchard (Val-d'Oise). Claval vend ses tripes et ses abats sur le stand d'à côté. En repliant ses tréteaux, il lui arrive de chuchoter ce conseil d'ami à son voisin: "Le jour où tu as un peu d'argent devant toi, oublie le livret A: j'ai un très, très bon placement..." 12% minimum de rendement garanti, forcément, ça ouvre l'appétit.Les fonds secrets de Matignon? Aussi fou que cela paraisse, aucun de ses clients, qu'il soit gendarme, commerçant ou chef d'entreprise, n'a flairé l'embrouille. "Sa crédibilité, c'est qu'il payait les intérêts, en liquide, rubis sur l'ongle", témoigne Pierre, un ancien courtier en assurances, lui aussi tombé dans le panneau. Qu'importe si Raymond met plus souvent les pieds dans les bistrots d'Aubervilliers que dans les palais de la République. La rumeur se répand, entre initiés, sur les marchés de la banlieue nord: la martingale du tripier, ce n'est pas du mou de veau.Dans le bureau spartiate aménagé au fond de son entrepôt de la rue Hélène-Cochennec, Raymond Claval troque son tablier pour un veston anthracite. Ses manières énigmatiques sont celles des hommes de l'ombre. Il fume cigarette sur cigarette, enchaîne les tasses de café, parle peu, mais bien. Retraitée sur la Côte d'Azur, Mireille n'est pas près d'oublier ce jour damné de 2007 où, sur l'insistance d'un ami commun, elle s'est rendue chez lui avec son magot: 20 000 euros en coupures de 500 dans une enveloppe. "Il n'avait pas l'air d'un escroc, jure-t-elle encore aujourd'hui. Il était bien mis, sans plus, affable, mais pas trop. Son histoire de fonds secrets me semblait plausible, car j'avais lu plein de choses là-dessus dans les journaux..." Et, quand Claval précise que la manne ainsi collectée servira à financer les missions les plus clandestines, mais aussi les plus admirables, de nos services secrets, les gogos frémissent d'aise. "J'ai tout de suite pensé aux otages retenus à l'étranger, dit Mireille. Si nos économies pouvaient fructifier tout en aidant à leur libération, c'était merveilleux..." Avec Claval, non seulement l'argent des clients travaille, mais il travaille pour la France.Ce roman de gare aurait pu continuer longtemps si l'empire de Bernard Madoff, ce pâle imitateur de Raymond, n'avait été soufflé comme un château de cartes à l'hiver 2008. Dans la foulée, plusieurs dizaines d'épargnants échaudés par cette affaire d'escroquerie pyramidale appellent Claval pour récupérer leurs billes. Mais le tripier d'Aubervilliers a déjà baissé le rideau de fer. Son téléphone sonne dans le vide. Il est parti se mettre au vert dans sa maison de campagne, à Clesles, un village perdu aux confins de la Marne, où il attend que le scandale le rattrape.Les premières assignations devant le tribunal de Châlons-en-Champagne tombent à l'été 2009. Les victimes, auxquelles Claval avait remis un chèque de garantie du Crédit industriel et commercial (CIC), ont appris que le compte était à sec. Très vite, l'évidence apparaît: durant toutes ces années, en guise d'investissement miracle, le tripier mythomane s'est contenté de rémunérer les uns en entamant le capital des autres.Le mois dernier, Raymond Claval a été mis en examen pour "fraude fiscale", "exercice illégal de la profession de banquier" et "escroquerie et blanchiment en bande organisée". Lors de son premier interrogatoire par le juge d'instruction de Bobigny Marc Sommerer, le 8 juin, il a juré n'être qu'un lampiste. Les fonds secrets, il y croyait, lui aussi. Sans cette rencontre avec un mystérieux interlocuteur, en 1969, à la succursale du CIC d'Aubervilliers, rien ne serait arrivé. A l'en croire, le type lui aurait expliqué que l'Etat avait souvent besoin de liquide pour alimenter ses finances occultes mais qu'il le rendait au centuple. Claval, qui montait son étal sur tous les marchés du département, lui apparaissait comme un démarcheur idéal, moyennant une contrepartie de 5% du montant des dépôts. Les 95% restants, le tripier assure qu'il les déposait lui-même dans la boîte aux lettres de l'agence du CIC d'Aubervilliers, cachetés dans une enveloppe sur laquelle il écrivait simplement ses initiales. Les intérêts? Ce sont des coursiers, jamais les mêmes, qui lui apportaient les liasses de liquide. "M. Claval n'a pas le patrimoine d'un escroc international, renchérit son avocate, Me Elisabeth Duterme. Une maison et un étang à Clesles, l'usufruit d'un pavillon à Aubervilliers: c'est peu pour le commanditaire présumé d'une telle arnaque..." Au siège du CIC, à Paris, on ne se mouille pas. "Aucun commentaire à ce stade de l'enquête", répond-on à la direction de la communication.L'affaire Claval a-t-elle livré tous ses secrets? Sur les marchés du Plessis-Bouchard et des environs, les ménagères se perdent en conjectures. Raymond Claval a toujours eu la réputation d'être le roi de la cervelle. Mais cela suffit-il à faire de lui un cerveau? Même son ex-ami gendarme hésite à l'enfoncer: "A mon avis, il a été pris dans une histoire trop grande pour lui." On avait compris.