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Jacques

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LA CHASSE AU CHAGRIN...
* le: 30 décembre 2008, 04:06:22 *
LA CHASSE AU CHAGRIN

Lequel d'entre nous n'a pas, sur les rayons de sa bibliothèque, un livre dont le libraire a dit :
- Très beau volume !... relié en chagrin. Ça vaut de l'argent !...
Mais lequel sait exactement où et comment on se procure la peau de chagrin ?...
Honoré de Balzac, dans son fameux roman, s'est bien gardé d'évoquer ce mystère. C'est que le chagrin est l'objet d'une chasse étrange, dont peu de gens connaissent les secrets.
Le chagrin est une sorte de chat sauvage, de couleur grise, qui vit dans les montagnes du Tyrol et du Sud autrichien. Son cri, plutôt triste et lugubre, impressionne le voyageur qui se hasarde, la nuit, sur les routes en lacets, où les sapins noirs montent la garde, dans l'ombre. Il faut se mettre à plusieurs pour en venir à bout. Car, tout seul, on arrive mal à chasser le chagrin.
Sur la grand-place de Klopsenn Stuck, dans le Tyrol autrichien, les chasseurs se sont réunis pour la grande expédition. Il est environ dix heures, lorsqu'ils commencent leur ascension. Les bruits du village se sont éloignés et seule la voix du vent accompagne leur marche.
Soudain, le doyen des chasseurs s'est arrêté
- Rrrraaahhh !... Schtumpfbizzpluck !...
Mais nous ne pouvons comprendre ce qu'il dit.
Traduisons :
Il a dit : « Crio au tournesol, c'est du soleil dans votre lessive. » (? ... )
Mais non!... Il vient de dire : « Voici un champ de soucis. Les chagrins ne doivent pas être loin. »
Car le chagrin s'installe volontiers au milieu des soucis, ou des pensées, quand elles sont de couleur sombre.
Mais voici que les chasseurs sont en arrêt.
Là-bas, au pied d'un saule pleureur, un chagrin vient d'être repéré. Il somnole, visiblement repu par un trop bon repas de cancrelats. Car c'est une chose bien connue que le chagrin se nourrit de cafard.
En un instant, tout est préparé. L'animal est cerné. Aux quatre coins du cercle ainsi formé, on installe les musiciens de la troupe, les instruments en bataille. Le chef fait un signe
- Achtung!...
- A vos souhaits.

Et aussitôt, on envoie la musique
Faut rigoler, faut rigoler
Avant qu' le ciel nous tombe sur la tête.
Faut rigoler, faut rigoler
Pour empêcher le ciel de tomber.
Le meilleur moyen de chasser le chagrin est, en effet, le rire et la musique.
L'animal dort toujours, mais il faut se méfier des chagrins qui sommeillent. Ce sont les plus dangereux.
- Allons-y. Approchons.
Et, toujours riant et jouant, les musiciens s'approchent. L'animal vient de se réveiller et pousse son cri.
Mais le rire et la musique sont plus forts que le chagrin.
La bête essaie de lutter. La musique redouble. C'est fini. Le chagrin s'est évanoui.
- Allez, emportez-le.
Le soir, au retour, on retrouve la place du village telle qu'on l'avait laissée. Car là-bas, lorsqu'on va à la chasse, on ne perd pas sa place. Une grande cuve, pleine d'alcool, s'y dresse, devant la mairie.
Les chagrins évanouis sont sortis des cages où on les avait mis. Les chasseurs, gens rudes, mais courageux, prennent les corps flasques et les jettent, un à un, dans la cuve, afin que la peau se conserve indéfiniment.
Et c'est un spectacle étrange de voir ces hommes, avec obstination, noyer leur chagrin dans l'alcool.
Pour que la reliure de nos livres soit plus douce et solide, pour que les cris lugubres ne hantent plus les nuits de, la montagne, et pour que leur pays voie disparaître peu à peu tous les chagrins qui le dévorent.
- Crio au tournesol, c'est du soleil dans...
- Non, pas là, voyons!...








Devinette : de qui est-ce ?

Jacques

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Re : LA CHASSE AU CHAGRIN...
* Réponse #1 le: 30 mars 2011, 05:50:43 *
Une chasse à déconseiller :


Jacques

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Dans notre série : « Travailleurs de la mer»,
* Réponse #2 le: 01 juin 2011, 06:00:24 *
Dans notre série : « Travailleurs de la mer», voici :
LES PÊCHEURS DE LAMES

La mer qu'on voit danser le long des golfes clairs
A des reflets d'argent...


Oui. la mer a des reflets d'argent.

Mais sais-tu, poète insouciant, d'où viennent ces reflets de métal, dans la mer infinie ?... C'est le reflet des lames : les lames sans pitié, qui déferlent sur les côtes. Et ces lames, dangereux et perfides ornements de l'immensité liquide, ces lames, des hommes, chaque jour, ces lames, des hommes, chaque nuit, ces lames, des hommes les pêchent.

Le travail, c'est la santé,
Rien faire, c'est la conserver !...


Ils sont partis.

Le petit bateau, le « lamier », comme on l'appelle, a jeté l'ancré à quelques encablures des récifs.

Ouais, c'est ici qu'on trouve les plus belles lames : les bleues, celles qui sont les plus difficiles à pêcher. Tenez, regardez : ils y vont !...
Ils y vont !... Ils y vont !...

Dédaignant les lames de surface, trop minces et par trop oxydables, les pêcheurs plongent à la recherche des lames de fond et s'enfoncent dans l'Océan vert pâle.

Les courageux artisans, les lamineurs, comme on les appelle, savent, du premier coup d'œil, reconnaître si une vague va pousser vers eux la lame tant espérée.

Et, tandis qu'ils attendent, la mer fredonne à leurs oreilles la célèbre Valse en Lamineur, écrite à leur intention par un romantique Polonais qui rendit Lame, il y a près d'un siècle.
Mais voici qu'un remous se produit.
Pas d'erreur : c'est bien la vague à lame.
Un geste, pour alerter ses collègues.
Il vient de crier: «Vague à lame» !... de l'eau plein la bouche. Son appel ne peut être compris que des initiés.

Voici, à présent, le moment le plus dangereux : les lames de fond se précipitent. Il s'agit de saisir le fil de chaque lame, de l'enrouler sur une bobine et de remonter, très vite, à la surface.
Là-bas, au fond de la mer, des hommes luttent.
Puis c'est le retour au port, les cales pleines de lames fraîches.
Une par une, on fait l'épreuve de leur solidité en les frappant sur un brise-lame.
— Ah!... Bonne...
— Bonne aussi...
— Non... Pas bonne...
— Bonne...
— Pas bonne...
Ensuite, c'est le repassage, qui se fait à la vapeur et avec une pattemouille.
Une fois les lames repassées, c'est le premier affûtage, avec un fusil. Un coup d'un côté, un coup de l'autre, l'ouvrier chante gaiement :

Et hop!... Un p'tit coup et j' la tourne
Un second, j' la r'tourne..,


Ensuite, quand la lame est bien enfilée au fusil, ils l'affûtent en l'air !...

Voilà le travail pénible des pêcheurs de lames !... Labeur ingrat et pas toujours rémunérateur. En effet, combien de resquilleurs ont trop souvent la lame à l'œil. Et c'est injuste. Il faut payer ceux grâce à qui nous avons des lames : des lames pour couper notre viande, pour raser nos mentons, pour tailler nos tissus, la lame, ô jaloux, qui perce ton rival pour la mort !... la lame, ô poète, qui perce ton cœur pour la vie.

... a percé mon cœur pour la vie !...




Du même auteur que la Chasse au chagrin. Même style, même médium : la radio.

Alors ? Qui ?

Jacques

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De Franz Schubert et Francis Blanche, la Truite :
* Réponse #3 le: 01 juin 2011, 08:20:04 *
De Franz Schubert et Francis Blanche, la Truite :

Citer

Elle était jeune fille
Sortait tout droit de son couvent,
Innocente et gentille
Qui n'avait pas seize ans.
Le jeudi, jour de visite,
Elle venait chez ma mère,
Et elle nous jouait la Truite,
La Truite de Schubert.

Un soir de grand orage,
Elle dut coucher à la maison.
Or malgré son jeune âge,
Elle avait de l'obstination.
Et pendant trois heures de suite,
Au milieu des éclairs,
Elle nous a joué la Truite,
La Truite de Schubert.

On lui donna ma chambre.
Moi je couchai dans le salon.
Mais je crus bien comprendre
Que ça ne serait pas long.
En effet elle revint bien vite
Pieds nus, dans les courants d'air
Pour me chanter la Truite,
La Truite de Schubert.

Ce fut un beau solfège,
Pizzicattis coquins,
Accords, trémolos et arpèges,
Fantaisie à quatre mains.
Mais à l'instant tout s'agite
Sous l'ardent aiguillon de la chair,
Elle, elle fredonnait la Truite,
La Truite de Schubert.

Je lui dis: Gabrielle
Voyons, comprenez mon émoi.
Il faut être fidèle,
Ce sera Schubert ou moi.
C'est alors que je compris bien vite
En lisant dans ses yeux pervers
Qu'elle me réclamait la suite
La suite du concert.

Six mois après l'orage
Nous fûmes dans une situation
Telle que le mariage
Était la seule solution
Mais avec un air insolite
Au lieu de dire oui au maire,
Elle lui a chanté la Truite
La Truite de Schubert

C'est fou ce que nous fîmes
Contre cette obsession
On mit Gabrielle au régime
Lui supprimant le poisson.
Mais par une journée maudite,
Dans le vent, l'orage et les éclairs,
Elle mit au monde une truite
Qu'elle baptisa Schubert.

A présent je vis seul, tout seul dans ma demeure.
Gabrielle est partie et n'a plus sa raison.
Dans sa chambre au Touquet elle reste des heures
Auprès d'un grand bocal où frétille un poisson.
Et moi j'ai dit à Marguerite
Qui est ma vieille cuisinière :
Ne me faites plus jamais de truite.,
Ça me donne de l'urticaire.