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Jacques

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Un destin assigné : Comme Virginia Woolf...
* le: 15 février 2007, 02:54:42 *
* Modifié: 17 décembre 2009, 03:10:03 par Jacques *
Un destin assigné : Comme Virginia Woolf...

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Une étudiante de collège fut hospitalisée après avoir été trouvée dans
un train désorientée et dans un état délirant aigu. J'eus un entretien
avec ses parents quand ils arrivèrent. En se limitant aux termes de leur
récit, l'état désespéré de la jeune fille semblait un coup de tonnerre
dans un ciel serein. Elle s'était montrée une excellente élèvee
intéressée par l'art d'écrire. Bien qu'un peu timide, elle avait
toujours été sociable et était très appréciée de ses amis. Néanmoins, la
séance elle-même était pleine d'un matériel familier à ceux qui
travaillent avec les parents des schizophrènes. La mère seule parlait
tandis que le père, un riche marchand d'art, demeurait silencieux. Quand
je m'adressais à lui, c'est sa femme qui me répondait. Comme je lui
tournai intentionnellement le dos et posai une question au père, la mère
l'interrompit avant qu'il ne termine sa phrase. Il était difficile
d'apprendre grand chose de la patiente, car la mère parlait d'elle-même,
de son ancêtre pélerin et de ses ambitions d'écrivain. Quand je
l'interrompis finalement pour la questionner sur la carrière
universitaire et les intérêts de sa fille, j'appris que toute la vie de
la jeune fille tournait autour du projet de devenir romancière; elle
avait une passion pour Virginia Woolf. Sa mère espérait que sa fille
marcherait sur les traces de son idole. J'hésitais avant de commenter :
« Mais Virginia Woolf avait des épisodes psychotiques et s'est suicidée
». Sans hésiter, la mère répliqua: « Cela en vaudrait la peine ».

Je pus former l'hypothèse de travail que, dans cette famille, le ménage
des parents était biaisé, avec une mère qui dominait les transactions
familiales, occupant le rôle habituel du mari et échouant à remplir
correctement le rôle maternel expressif tendre, au moins pour sa fille.
Elle faisait intrusion dans la vie de la jeune fille, mais se montrait
inaccessible à ses sentiments et à ses besoins, du fait de son besoin
narcissique de voir sa fille mener à bien ses propres ambitions
littéraires frustrées ; et elle projetait ses sentiments propres sur la
patiente. Le père, bien qu'ayant remarquablement réussi dans sa
profession, n'excerçait que bien peu le rôle fonctionnel masculin dans
la famille, pas plus qu'il ne contrait les distorsions égocentriques
imprimées par sa femme au milieu familial. il semblait probable, bien
que ce soit pure hypothèse, qu'étant incapable de pourvoir à quelque
chose de crucial dans la vie de sa femme, il cherchait du côté de sa
fille des gratifications affectives.

Au cours de ma visite quelques semaines plus tard, je remarquais
plusieurs romans de Virginia Woolf dans la chambre de la patiente et la
questionnait à leur sujet. Elle me répliqua d'une voix morne: « Maman me
les a envoyés ; Virginia Woolf est son idée fixe ». Au cours des mois
suivants, la patiente parla de son désespoir devant ses insuffisances
comme écrivain, de ses désirs d'un mariage où elle pourrait aider son
mari à s'affirmer, et de sa rancoeur de devoir vivre pour réaliser les
aspirations de sa mère à son sujet. J'eus quelque difficulté à croire
qu'elle se soumettrait au point de devenir psychotique comme Virginia
Woolf, ce qui se révéla une erreur grave, fatale même. Quand la patiente
émergea de sa psychose, sa mère insista pour qu'elle poursuive son
traitement sur la côte Ouest où ils habitaient. A la maison, prise sous
le contrôle de sa mère, elle rechuta et suivit ensuite, en se suicidant,
le destin qui lui avait été imposé.

Theodore Lidz (1974). Le schizophrène et sa famille. Traduction 1986,
pages 142-143, Ed. Navarin, Paris.

Je suis un père dont les enfants sont assignés à suivre, eux aussi, un
destin psychotique, avec la complicité de la juge, et des femmes de ma
famille d'origine : pour ne rien brouiller à la volonté féministe de
suprématie et de toute-puissance, et de dénigrement de tout ce qui n'est
pas elles-mêmes.

Déjà diffusé sur le n.g. fr.sci.psychologie, le 16 septembre 2004.